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25 janvier 2020 6 25 /01 /janvier /2020 09:06

En ce début 2020, un article du nouvelle 0BS a lancé une nouvelle polémique que les propos jugés non déontologiques et abusifs d’un groupe privé réunissant environ 11000 médecins. On reproche à ses participants de montrer des photos de patients non anonymisées, d’avoir des propos irrévérencieux envers les patients et un humour douteux dépassant l’esprit carabin.

Cette polémique est intéressante et informative sur les dérives de la communication et de l’information. En effet, dans ce divangate, on retrouve toutes les distorsions cognitives qui déforment aujourd’hui l’information. De ce fait, il me semble nécessaire d’en repérer les mécanismes pour ne pas se laisser manipuler eux dans d’autres affaires et avoir une vision déformée de la réalité.

La première étape est d’observer le contexte des personnes concernées. Tout d’abord, il est étonnant de remarquer qu’un groupe privé de Facebook puisse rassembler autant de médecins. Probablement que celui-ci répond à de nombreux besoins...

En effet, l’exercice de la médecine est de plus en plus difficile. Les médecins sont de plus en plus isolés et ont de moins en moins d’opportunités de se rencontrer. Ces rencontres étaient autrefois organisées plus ou moins directement par les laboratoires pharmaceutiques qui avaient certes un rôle de promotion mais aussi une fonction sociale qui n’a jamais été reconnue. Avec leur mise au ban de la société, du fait de la théorie du complot qui les entoure, aucun système alternatif n’a été mis en place pour reprendre ce rôle social. Les médecins sont de plus en plus entravés du fait de nombreuses contraintes administratives et de nombreuses réformes de la santé qui se font, non seulement sans eux, mais contre eux (ex : loi santé de Marisol Touraine réforme des retraites, réformes de la prescription des génériques, etc.). Enfin, les relations avec les patients se sont détériorées (plus de violences, de demandes abusives, etc.).

Dans ce contexte, le divan des médecins répond à plusieurs besoins :

  • Tout d’abord comme le dit son nom a un besoin de s’épancher, de partager et de pouvoir exprimer les ressentis difficiles liés au métier. Il est un espace d’expression et d’écoute.
  • Il est aussi la possibilité de blaguer, de rire et de tirer avec bienveillance le grotesque de certaines situations et de s’extirper de la dureté du métier. Cyrano de Bergerac n'est pas loin. Les fâcheux non plus...
  • Il permet de purger des colères, des frustrations ou des angoisses.
  • Il est aussi l’occasion de trouver des ressources à des problèmes médicaux ou à se former, à travers des échanges avec des collègues
  • Enfin, il a été l’occasion de la création de plusieurs chaines de solidarité envers des confrères malades, en souffrance ou ayant des parents ou des enfants en difficultés.

Des gens extérieurs au divan et au contexte de ce métier ont lancé une polémique sur les propos tenus dans le divan les jugeant indignes de médecins, en utilisant différentes techniques pour déformer et instrumentaliser les commentaires postés :

  • Tout d’abord en décontextualisant les propos.
    • Sortie de leur contexte des propos prennent un autre sens. Les médecins ne parlent pas aux patients et en public de la même façon qu’ils le font entre eux comme dans n’importe quel métier, tout comme des femmes de chambres d’hôtel ou du personnel funéraire ne s’expriment probablement pas en public de la même façon qu’ils partagent leur quotidien entre collègues…
    • Des propos émotionnels dites dans un groupe privé amical et confraternel n’ont pas la même signification que des propos professionnels et publiques.
  • En créant des généralisations en disant que certains propos discutables dit par quelques individus reflètent la façon de penser de tous les membres du groupe... et discréditent de ce fait le groupe.
  • En construisant des syllogismes. Une expression utilisée par les médecins pour se purger de leur colère contre certains comportements abusifs de certains patients est une image prise dans le film Bernie de Dupontel. Quand, ils sont en colère, ils disent que cela mérite un coup de pelle. Il s’agit d’une expression émotionnelle et évidemment aucun patient n’a reçu de coup de pelle et aucun médecin ne souhaite véritablement en donner un. Mais voici un exemple de syllogisme possible :
    • Des médecins veulent donner des coups de pelle aux patients
    • Les personnes qui donnent des coups de pelles sont des personnes violentes qu’il faut condamner.
    • Les médecins sont des personnes violentes dont il faut se protéger

 

Syllogisme actuel

  • Les médecins parlent de leur excès de poids à des patientes
  • Les personnes qui stigmatisent les personnes en excès de poids sont grossophobes
  • Les médecins sont grossophobes et se moquent de leurs patients

 

Un médecin a même eu une lettre d’avocat, avec une plainte pour grossophobie, d’une patiente pesant 120 kg pour 1 mètre 70 et qui venait pour une lombalgie et qui avait osé évoquer l’impact de son poids sur sa pathologie.

 

Le contexte des journalistes favorise l’embrasement de la polémique. De plus en plus, de journalistes sont pigistes et précaires. L’information journalistique est en lutte avec l’information divulguée par internet. De ce fait, un certain nombre de journalistes ont de moins en moins de temps pour enquêter et pour vérifier leurs données. Beaucoup de média recopient une information délivrée par un média sans la vérifier ni la contextualiser, ce qui propage les fakes news. Tout cela fait qu’une fausse information peut facilement se diffuser et s’amplifier, ce d’autant qu’elle sera relayée par des trolls sur internet. Les trolls sont des personnes qui sont contre tout et qui observent le monde en victime de nombreux complots qu’ils alimentent sur le net.

Dans ce contexte, les médecins sont pris dans un cercle non vertueux :

  • Il est de plus en plus difficile pour eux d’exercer.
  • Ils ont de fait de plus en plus besoin de parler.
  • Plus ils échangent et plus ils risquent de tenir des propos qui, sortis de leur contexte, sont déformés. 
  • Ces déformations participent à augmenter la pression qu’ils ressentent. Ils entrainent un plus grand besoin de s’exprimer.

Associé à ce mécanisme, la population confond le service que les médecins offrent à travers leur profession et la demande qu’ils soient à leur service, quelque soit les demandes déraisonnables que les médecins doivent gérer et qu’ils rapportent à leur façon sur leur divan. Les médecins doivent négocier ces demandent tout en étant sous le joug de la CPAM qui tracte tout délit statistique (prescription de plus de médicaments ou d’arrêts maladies que la moyenne de leur secteu, etc.). Ils se retrouvent coincer dans un double lien : répondre aux besoins et exigences des patients et suivre les règles que leur demande de suivre de nombreuses instances comme la CPAM.

Un autre syllogisme se présente :

  • Les médecins gagnent plus d’argent que la moyenne nationale et sont payés par l’argent de l’Etat.
  • Quand on gagne de l’argent, on ne peut pas se plaindre
  • Les médecins n’ont pas le droit de se plaindre.

Ce mécanisme de discrédit et de genèse d’une polémique touche aussi d’autres professions en lien avec le public comme les enseignants, les policiers et les agriculteurs. Toutes ces professions sont aujourd’hui en souffrance en France. Elles ont un taux de suicide deux fois plus important que la moyenne nationale. Quoiqu’elles fassent, ses professions sont prises régulièrement dans des polémiques qui stigmatisent leur métier et leur façon de travailler. Trop de personnes ne connaissant pas leur travail veulent contrôler leur travail. Plus on essaie de contrôler leur travail et plus ces professionnels sont entravés dans leur travail et font des erreurs ce qui valident la croyance qu’il faut les contrôler. Ce mécanisme détruit et appauvri ces métiers qui sont les piliers de la république et qui entraîne un en-sauvagement de la société à travers diverses violences.

L’affaire du divan est venue sur l’espace publique puis a disparu en attendant la prochaine qui touchera les médecins comme c’est le cas régulièrement depuis des années. On oublie au fur et à mesure ces polémiques mais elles laissent des plaies béantes chez ces professionnels qui se traduisent par un dégoût, un détachement voire un renoncement professionnel. Le cynisme qest l’un des trois symptômes du burn out. 60% des médecins souffrent de burn out. Après tout cela, qui va nous soigner demain si on a détruit ceux qui nous soignent ?

 

 

 

 

 

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