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22 juin 2015 1 22 /06 /juin /2015 09:29
Nijinski, la diagonale du fou

Voilà 50 ans que Vaslav Nijinski, le dieu de la danse, est mort. Vaslav Nijinski, c’est à la fois la grande épopée créatrice des ballets russes et un voyage dans l’histoire de la psychiatrie à travers sa maladie, la schizophrénie.

Vaslav Nijinski est né à Kiev vers fin 1889 ou début 1890 (la date est incertaine) de parents polonais. Ceux-ci étaient des danseurs itinérants qui allaient de cirque en cirque sur les routes de Russie. Les parents de Vaslav eurent ensemble trois enfants : un fils aîné de 2 ans plus âgé que Vaslav (Stanislas) et une fille cadette (Bronislava), malgré une tentative d’avortement. Enfants de la balle, Stanislas, Vaslav et Bronislava ont appris à danser, à faire le spectacle et à plaire avant de savoir marcher.

Le Frère aîné de Vaslav, Stanislas, était un enfant turbulent et impulsif qui a eu de nombreux accidents domestiques jusqu’à ce qu’il chute du quatrième étage. A la suite de cet accident et plusieurs jours de coma, Stanislas n’a plus été le même enfant. Tout d’abord, il a été un enfant trop doux, trop calme et retardé puis il a été un adolescent turbulent ce qui a nécessité son placement définitif en hôpital psychiatrique. Il mourut en 1918 pendant que son frère sombrait dans la folie.

Sa sœur a été la compagne de toujours de Nijinski. Danseuse, elle a suivi Vaslav dans les Ballets Russes. Elle a été à ses cotés pour rendre compréhensible aux autres danseurs de la compagnie les idées chorégraphiques de son frère. Elle a essayé de l’aider à reconstruire une troupe de danse après son licenciement des Ballets Russes. Ce fut une grande chorégraphe qui a signé de fabuleux ballets comme «noces » pour le compte des Ballets Russes sous le nom de Nijinska.

La mère de Vaslav, Eleanora Nicolaevna Bereda, était la fille d’un ébéniste joueur, alcoolique et dépressif. Son père décéda alors qu’elle avait sept ans d’une «crise cardiaque », suivi de peu par sa mère à l’issu d’un deuil pathologique. Elle a été élevée par ses sœurs et fut recrutée par une troupe de danseurs à l’âge de 12 ans. Elle était craintive, soufrant d’angoisse. On rapporte qu’elle réagissait aux frustrations par des accès de rage ou bien des accès de dépression. Elle faillit se marier avec un officier russe à 19 ans mais celui-ci exprima des remarques méprisantes à l’égard des polonais ce qui mit fin à cette relation. Ce n’est qu’à 27 ans qu’elle rencontra le père de Nijinski.

Le père de Nijinski, Thomas Lavrentievitch Nijinski, avait des qualités athlétiques exceptionnelles. Il effectuait des sauts d’une hauteur inhabituelle et avait de grands talents d’acteur. Dès la première rencontre avec Eleanora, à 22 ans, il demanda sa main en mariage. Celle-ci accepta lorsque celui-ci, à force de demandes, brandit un pistolet en disant que cela serait la dernière fois qu’il la lui demandait. Il est décrit comme immature sur le plan affectif et avec une réputation d’homme impétueux, voire violent.

Nijinski était un enfant turbulent qui semblait être fait pour la danse. Il connut son premier succès public à quatre ans quand il dansa le hopak pour les fêtes de pâques habillé en petite fille. Avec sa peau brune, ses grands yeux marron, il était impossible de voir que c’était un garçon. Il ressemblait à une petite Ukrainienne.

A six ou sept ans, il faillit se noyer alors qu’il était avec son père sur le bord de la Neva. Cet événement s’imprima fortement dans le souvenir de Nijinski.

Pour des artistes itinérants, trois enfants étaient difficiles à gérer. La mère de Vaslav devait rester à la maison s’occuper d’eux pendant que le père partait en tournée danser. Au cours d’un séjour en Finlande, son père eu une liaison avec une danseuse prénommée Rumiantseva. Il naquit une petite fille prénommée Marina. Puis, il quitta définitivement le foyer familial pour cette nouvelle famille.

Après ce départ et avec le handicap de son frère, Vaslav devint plus ou moins le chef de famille. La famille partit habiter à Saint-Petersbourg. Eléonara inscrivit Vaslav dans la prestigieuse Ecole Impériale de Ballet, en internat. Au concours d’admission où les qualités de chaque candidat sont particulièrement décortiquées, Vaslav failli échouer à cause de son air gauche et d’avoir une santé délicate ainsi que ses difficultés de langage et son terrible accent polonais qui lui donnait un air stupide et de faible d’esprit. D’ailleurs, celui-ci parlait qu’avec réticence, appréhendant les réactions qu’il suscitait. Mais avec les connaissances d’Eleonara et la réputation de danseur du père, on prêta plus attention à sa candidature. Celle-ci fut accepter lorsque le danseur Nicolas Legat lui demanda de faire quelque pas et de sauter…

En internat, il avait peu de contact. L’école était gérer comme une école militaire. Il était strictement interdit de parler en cours. L’isolement social de Vaslav était accentué par son physique inhabituel qui rappelait celui des tartares : un haut très féminin, des pommettes hautes, des yeux légèrement bridés, des longs cils duveteux et des cuisses très puissantes et musculeuses. Il faisait souvent l’objet de railleries. Ses camarades le surnommaient le «petit japonais ». Il grimpa très rapidement les échelons. Jaloux de son succès auprès des professeurs, ses camarades lui disaient qu’il était une fille pour danser aussi bien. Prompt à la colère, se battait fréquemment. Sa mère s’inquiétait pour lui mais Vaslav ne voulait pas qu’elle l’accompagne au cours de danse pour ne pas alimenter les quolibets. Tout cela tourna mal puisque le 13 mars 1901, au cours de sa troisième année d’école, une bande de garçon lui joua un terrible tour. Ses camarades l’ont défié de sauter par-dessus un lourd pupitre de bois. A u moment du saut, l’un d’eux savonna le sol tandis qu’un autre surélevait le pupitre. Vaslav heurta le pupitre de plein fouet, ce qui provoqua une contusion hépatique associée à une hémorragie interne. Il resta dans le coma pendant 5 jours. Cet accident l’empêcha de danser pendant 6 mois.

Avant même la fin de ces études, il fut reconnu comme un danseur de grand talent, extrêmement agile et plein d’énergie, possédant le sens de la musique et de la communication non verbale lui permettant de danser aisément avec des partenaires. A 18 ans, il dansa un pas de deux avec la grande Anna Pavlova. Michel Fokine le repéra et créa pour lui un ballet « Le Pavillon d’Aramide ».

Il obtint son diplôme le 29 avril 1907. Ce fut un bouleversement dans la vie de Nijinski. En effet, ce jeune danseur malhabile dans les relations sociales, devint brutalement « Artiste des théâtres impériaux » et célèbre. Le public se déplaçait en foule et de très loin pour le voir danser. Les familles aisées voulurent lui confier leurs enfants mais ses difficultés de communication verbales le firent considérer comme un piètre professeur. Le Tsar lui offrit une montre en or pour lui témoignée de son estime.

Son père voulu profiter de cette célébrité. Il invita Nijinski à Gorki. Leur rencontre se termina rapidement par une violente dispute face au refus de Vaslav de rencontrer la nouvelle femme de son père. Il rentra au bout de vingt-quatre heures pour présenter des signes de dépression (repli et sentiment de mort et d’abandon).

Cette nouvelle liberté le terrifiait, lui qui a vécu si longtemps dans une institution habillée d’un uniforme. Dorénavant, il était riche, indépendant, il lui fallait apprendre à vivre et à s’habiller pour traîner les salons de l’aristocratie où on le demandait. Il se sentait isoler dans ce monde et en manque d’affection, ce qu’il compensait par le travail physique et une exigence extrême. Déprimé, le Prince Pavlel Lvov, en Pygmalion, fit de Nijinski son objet amoureux. Tout le monde trouva bénéfice à la situation : le prince qui jouait au mentor, Nijinski qui trouva dans le prince un homme pour l’aider, le soutenir et lui apprendre à vivre, et sa mère qui trouvait dans le prince un gage de sécurité financière. Nijinski devint moins timide et pris confiance en lui. Sa première relation hétérosexuelle fut avec une prostituée sur l’incitation d’un danseur « afin de faire de lui un homme ». Il en garda comme souvenir une blennorragie douloureuse qui dura 5 mois.

La relation avec le prince Lvov dura un an, jusqu’à ce que celui-ci céda Nijinski à Diaguilev. Diaguilev était un homme de passion, dont l’unique ambition était d’exceller, de devenir célèbre, de faire connaître ses idéaux, de commander aux autres et de se lancer dans des entreprises toujours nouvelles, toujours plus excitantes, toujours plus appréciées. La poursuite acharnée de ces objectifs, le rendait impitoyable et perfectionniste ; il avait besoin de s’entourer d’une coterie de collaborateurs loyaux et dévoués, mais aussi imaginatifs et ingénieux afin de lui fournir de nouvelles idées et de l’aider à mettre en exécution ses projets. Il aimait la bonne chair, le confort et les beaux vêtements, les femmes et les hommes séduisants. Souvent volage, il cherchait à s’attacher un amant fidèle, capable de partager sa vitalité de tendre un miroir à sa propre aura. Serge Lifar disait que « Diaguilev ne pouvait résister au charme ensorcelant des jeunes talents et au désir de faire vivre ce génie, de l’aimer et de le révéler au monde ».

Donc en, 1908, Nijinski fut l’amant et le danseur étoile de Diaguilev pour la grande aventure artistique que fut les Ballets Russes à Paris. Les ballets russes cristallisèrent à Paris les plus grands artistes du moment (Stravinski, Benois, Cocteau, Pavlova, Baskt, Picasso, etc.). Le premier chorégraphe fut Michel Fokine qui révolutionna la danse de l’époque en demandant aux danseurs de dramatiser les rôles qu’ils incarnaient en leur insufflant de la vie.

Le 16 avril 1908, Nijinski demanda aux théâtres impériaux un congé de deux mois afin de participer à la première saison des Ballets Russes à Paris. Il fut accompagné par Bronislava qui fut engagé comme danseuse dans la troupe et sa mère afin de chaperonner son fils. Ce fut un triomphe exceptionnelle. Lors de la première, le 18 mai 1909, Nijinski jouait le rôle de l’esclave dans « Le Pavillon d’Armide ». Après un pas de trois avec sa sœur et Karsavina où il dansa à merveille, il s’envola d’un bond dans les coulisses. Personne dans le public ne le vit atterrir. Aux yeux de tous, il était resté suspendu en l’air et s’était évaporé. Cela déclencha un tel tonnerre d’applaudissements que l’orchestre arrêta de jouer. En un éclair, Nijinski était devenu une vedette et le lendemain dans la presse « le Dieu de la danse ». Auparavant, il n’y avait eu qu’un seul danseur à porter ce titre : Auguste Vestris, la grande étoile française du XVIIIième siècle auprès de qui Nijinski est enterré à Montmartre.

Nijinski était un danseur d’exception. Gauche dans la vie de tous les jours, s’exprimant difficilement et au caractère explosif, il se métamorphosait dès qu’il enfilait son costume. Petit avec des jambes viriles et musculeuses et un buste frêle et féminin, il dégageait une ambiguïté sexuelle qui se transformait sur scène en une animalité érotique qui rendait le public hystérique. Ses sauts et ses envols prenaient un caractère phallique qui électrisait le spectateur. Hors de scène, il semblait apathique et renfermé et était traîné dans les salons mondains par Diaguilev devenu la figure des cercles homosexuels parisiens. Il vivait hors des contingences et des réalités du monde, ce qui fut notamment à l’origine de la fin de sa collaboration comme chorégraphe avec Diaguilev et de tous ses cuisants échecs dans ses tentatives de gérer une compagnie. Il était incapable de s’adapter à la matérialité de la vie et n’avait aucune conscience de la complexité de la tache que constituait l’organisation d’une troupe.

Diaguilev et Nijinski ont formé un couple passionnel et névrotique, fait de conflit, mais ne pouvant pas se passer l’un de l’autre pour la création. Dans leur collaboration, Nijinski a apporté son génie de créateur et de danseur, Diaguilev son sens de l’organisation, son savoir-faire, son argent et sa capacité à susciter la création et à fédérer les génies du moment.

La qualité de ses sauts furent exploiter tout au long de sa carrière notamment dans le « Spectre de la rose» où Nijinski sorti de scène d’un bond à travers une fenêtre (ce qui n’est pas sans rappeler l’accident de son frère).

Au cours de cette première saison, on diagnostiqua chez Nijinski une fièvre typhoïde et fut mis en quarantaine en habitant définitivement chez Diaguilev, ce qui permit à ce dernier de faire dorénavant l’économie d’un salaire en subvenant à au besoins de Nijinski.

Le 24 janvier 1911, Vaslav fut renvoyer des théâtres impériaux pour avoir scandaliser le public et la famille royale en dansant le rôle d’Albrecht dans Giselle vêtu seulement d’un collant et d’un cache sexe (il avait refuser de mettre la culotte habituelle), en plus de ses absences répétées pour participer aux Ballets Russes.

Au cours de l’année 1912, trois événements capitaux eurent lieux dans la vie de Nijinski. Bronislava se maria à un danseur des ballets russes (15 juillet), son père décéda d’un abcès de la gorge à 50 ans (15 octobre) et Nijinski dansa pour la première fois sa chorégraphie « L’après-midi d’un faune » (29 mai) d’après un poème de Malharmé et sur une musique de Claude Debussy. Il lui fallut un an pour mettre en place sa chorégraphie entre l’apparition de troubles psychiatriques étiquetés comme neurasthénie, son obsession naissante pour Tolstoï et sa difficulté à transmettre ses idées. De plus les danseurs de l’époque était habitué à mettre en place de nouveaux en quelques jours en s’appuyant sur des pas et des enchaînements standards. Pour L’après-midi d’un faune, ils leurs fallurent apprendre de nouveaux pas que Nijinski voulait très précis. La réalisation de ce ballet ne fut possible que grâce à la patience de sa sœur pour traduire et transmettre les idées chorégraphiques de son frère. Ce ballet constitua l’œuvre la plus révolutionnaire de l’époque en mettant en scène un être mi-homme, mi-animal, dansant en compagnie de nymphe, pour finir seul et atteindre une satisfaction auto-érotique jusqu’à la jouissance à l’aide d’un voile abandonné par l’une d’elle, en utilisant une technique de danse complètement nouvelle. Le scandale de cette œuvre fit son succès.

En 15 mai 1913, il présenta son second ballet « Jeux », très inspiré de la gymnastique rythmique et sportive de Dalcroze, et qui mettait en scène trois personnage évoquant les jeux sexuels (notamment homosexuel afin de s’opposer et stigmatiser Diaguilev) à travers une partie de tennis.

Le 29 mai 1913, le Sacre du Printemps, sur une musique de Stravinski fut joué pour la première fois. Cet œuvre constitue l’apothéose du génie créateur de Nijinski. A l’encontre de tous les codes de la danse classique, il met en scène l’arrivée du printemps en Russie à travers le sacrifice d’une vierge. Lors de la première se fut une émeute. Au cours des répétitions, il fit sa première crise d’agitation avec des idées de persécution où il faillit commettre un homicide sur son beau-frère, en l’accusant d’avoir mis enceinte sa sœur pour ne pas lui permettre de tenir le rôle titre du ballet.

Diaguilev arrêta là sa collaboration avec Nijinski comme chorégraphe à cause du caractère tumultueux de Vaslav, de l’échec commercial de « Jeux » et du « Sacre » et du fait de la nécessité d’assainir ses finances.

Le 16 août 1913, les ballets russes partent en tournée en Amérique du sud. Diaguilev reste en Europe par peur de la longue traversée de trois semaines en bateau. C’est au cours de ce voyage que Romola Pulszki fait sa cour à Nijinski. Romola est une jeune femme froide et indépendante, issue de la haute bourgeoisie hongroise qui intrigua pour atteindre l’environnement de Nijinski après avoir eu le coup de foudre pour lui en l’ayant vu danser Arlequin à Vienne. Ce voyage de trois semaines, loin et libre de l’emprise de Diaguilev, fut l’occasion inouïe pour cette groupie d’arriver à ses fins. Cette histoire se termina par le mariage de Nijinski et de Romola peu après leur débarquement à Buenos Aires et la naissance de Kyra neuf mois plus tard.

Ce mariage bouleversa les relations de Nijinski avec les Ballets Russes et Diaguilev. Celui-ci fut immédiatement licencié. Le début du drame commença. En effet, Nijinski était un inadapté social qui avait toujours vécu dans le cocon de la danse et dépendant. Livré à lui-même, avec une femme non danseuse, il lui était impossible de se reconstruire, ce d’autant que les Ballets Russes constituaient la seule véritable compagnie de danse de l’époque. Il tenta de remonter une troupe avec le soutien de sa sœur à Londres mais ce fut un échec rapidement. Son handicap social associé à une hyperactivité l’entraînait irrémédiablement vers l’épuisement physique et psychique qui se symptômatisait par une labilité émotionnelle et de nombreuses crises explosives. Dans le contexte de la première guerre mondiale, il fut obligé d’aller se reposer en Hongrie chez ses beaux-parents pendant presque deux ans. Il profita de ce repos pour mettre en place un système de notation de la danse (activité hypomaniaque avec idées mégalomaniaques ?)

Suite à l’empressement de ses amis de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie ainsi que de ses fans auprès de Diaguilev et des différents gouvernements, dans ce contexte de guerre, il put partir à nouveau avec les Ballets Russes pour une série de représentation au Metropolitan Opera de New-York. C’est là que Nijinski créa sa quatrième et dernière chorégraphie « Tills l’espiègle » sur une musique de Strauss. Une tournée s’organisa à travers les Etats-Unis avec Nijinski comme directeur de la compagnie. Le même scénario se répéta avec la désorganisation de la compagnie et les troubles du comportement de Nijinski. Les premières idées délirantes autour de Tolstoï et à thématique mystique débutèrent à ce moment là. La tournée se poursuivit un temps en Espagne puis à nouveau en Amériques du sud pour s’achever le 26 décembre 1917. Au cours de cette tournée, Nijinski était de plus en plus replié sur lui, plongé dans des pensées noires en développant des idées de persécution et de complot. A la suite de celle-ci, il partit s’installer en Suisse à Saint-Moritz, ce qui constitua le début de sa deuxième vie consacré non plus à la danse mais à sa maladie.

Par la suite, il ne redansa qu’une fois, en janvier 1919, au cours d’une soirée au grand Hôtel de Saint-Moritz. Ce fut un spectacle fascinant ou Nijinski, en plein délire, improvisa une danse où il tenta de mettre en scène une humanité souffrante remplie d’horreur.

Au cours de ce séjour, il commence à dessiner. En six semaines, il écrit ses fameux cahiers où apparaissent les idées délirantes et la dissociation. Il présente une cyclicité de l’humeur avec des périodes de repli dépressif et des périodes d’exaltation maniaque, une écholalie, une fuite des idées. Il évoque des idées mégalomaniaques : invention du stylo à bille, désir de conseiller les grands de ce monde, se prend pour Dieu et le Christ, hyperactivité écrite, achats massifs. Il a des idées délirantes à thématiques mystiques, sexuelles (manger de la viande = incitation à la masturbation) et hypochondriaques (autour de ses intestins) mais aussi autour de Tolstoï. Trois personnages vont désormais cohabiter en Nijinski : le danseur, le fou au comportement violent et vindicatif et le patient passif et obéissant.

Il est soigné par le Dr Greiber, un élève de Bleuler, qui est fasciné par la personnalité de Nijinski mais aussi par sa femme… Celui-ci va tenter une approche psychanalytique avec son patient après avoir entendu Carl Jung dire qu’on pouvait améliorer les psychotiques en leur faisant prendre conscience de leurs conflits inconscients.

A ce moment là le parcours de Nijinski va suivre l’histoire de la psychiatrie. En effet, la Suisse était le premier Pays où la psychanalyse était reconnue. Il a été hospitalisé à plusieurs reprises au sanatorium du Dr Binswanger (un ami intime de Freud).

Romola ne pouvait supporter que Nijinski libérer de l’emprise de Diaguilev lui échappe dans la folie. Aussi, elle essaya de consulter tous les grands médecins de l’époque. Elle rencontra ainsi le Dr Wagner-Jouregy (prix Nobel de physiologie) mais aussi Adler, Freud, Forenczi.

Nijinski fut examiner par Bleuler qui diagnostiqua une confusion mentale de nature schizophrénique, accompagnée d’une légère excitation maniaque. Il conseilla à sa femme de divorcer ce qu’elle refusa même si par la suite elle fut plus ou moins distante avec Nijinski et qu’elle dévoila son homosexualité.

Nijinski fut soigné par le Dr Sakel à partir de 1937 qui avait inventé les chocs insuliniques en 1922. Sakel était né en Pologne et avait grandit en Tchécoslovaquie. Il a étudié la médecine à Vienne et il fut à l’origine de la psychiatrie biologique. La cure insulinique s’appuyait sur la théorie des chocs comme traitement des troubles psychiatriques. Il essaya ce traitement dans l’alcoolisme, le delirium tremens, l’anorexie nerveuse et la schizophrénie. Il faisait l’hypothèse de la localisation de cette maladie dans les centres végétatifs et celle d’un dysfonctionnement des connexions cérébrales. Le choc insulinique, en provoquant le coma, devait entraîner une destruction du tissu cérébral. La cure durait environ deux à trois mois à raison d’un choc par jour, six jour sur sept. On accréditait un franc succès à ce traitement. Muller parlait de 90% de succès.

Sakel commença son traitement sur Nijinski le 18 juillet 1938 à la clinique de Bellevue en Suisse. Il reçu 228 chocs. Nijinski passa la deuxième guerre mondiale en Hongrie où il échappa à l’extermination grâce aux ruses de sa femme et d’amis. Libéré par les russes en 45, il repartit en Suisse puis à Londres où il finit sa vie. Il souffrait d’une insuffisance rénale, d’une artériosclérose et d’une hypertension artérielle. Il tomba une première fois dans le coma le 3 avril 1950. IL se réveilla en esquissant quelques gestes du spectre de la rose et sombra à nouveau dans le coma le 6 avril 1950 pour décéder le 8 avril. Il fut enterré au cimetière de St Marylebone. Serge Lifar ramena sa dépouille à Paris en 1953 pour l’inhumer à coté de l’autre dieu de la danse Vetris.

Lifar dit à propos de Nijinski : « Cet homme ne mourra jamais car il n’a jamais vécu ». En effet, Nijinski a toujours vécu à travers les autres : la pauvreté de sa mère après le départ de son père, l’institution quasi militaire de l’Ecole Impérial du ballet, le Prince Lvov, Serge Diaguilev et la maladie. Il n’a véritablement existé qu’en dansant, sur la scène. Mais dans cet instant de suspension que l’on appelle le ballon, à l’apogée d’un saut, il est devenu éternel.

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